« TrajectoireS », c’est une autobiographie assez spéciale qu’Eric Schramm, son auteur, résume en sous-titre « commandant de bord et directeur général adjoint d’Air France ». En effet l’attrait particulier de cet ouvrage est qu’il peut non seulement nous raconter les 40 années de carrière d’un pilote, mais aussi nous faire pénétrer dans les arcanes du comité exécutif de la grande compagnie aérienne française.
Le « S » de TrajectoireS est là pour souligner les deux composantes de cette carrière, la seconde émergeant de la première, puis s’enroulant avec elle comme le long ruban d’un ADN aéronautique dans lequel viennent aussi se glisser ses attaches, familiales, amicales et géographiques.
Pour représenter cette double vis, Eric Schramm nous entraîne dans son récit en alternant les chapitres. Le premier, et tous ceux portant un numéro impair, nous racontent ses dix dernières années professionnelles à partir d’un évènement tristement fondateur, la tragédie de l’accident du vol AF-447 Rio-Paris à la Pentecôte 2009. Les chapitres pairs, quant à eux, reprennent en analepse(*) les trente années précédentes.
Cet effet de vis à double révolution, comme le célèbre escalier de Chambord, rompt la litanie chronologique habituelle des biographies, et donne à la lecture un certain dynamisme.
Historiquement, la première trajectoire d’Eric Schramm, c’est sa découverte de l’aviation en aéro-club, à vingt ans, la naissance d’une passion qui ne le quittera plus. Nous le suivons dans une progression assez rapide vers le pilotage professionnel et les petits boulots qui vont avec, tractage de banderoles, formation en vol comme instructeur, en région parisienne lors de son service national puis pendant quelques années au Maroc. De retour en France, chez Air Littoral puis à Air France, il grimpe les échelons qui l’amènent vers ce métier de pilote de ligne dont il a tant rêvé, comme copilote sur plusieurs appareils de chez Boeing, puis un jour comme commandant de bord, pour terminer sur Airbus A380.
Son témoignage est très intéressant, qu’il porte sur toutes ces étapes techniques, mais aussi sur le plaisir du vol, sur les escales qu’il aime, sur les amitiés qu’il noue, et parfois sur quelques personnages moins reluisants qu’il est amené à croiser. Il est aussi le témoin de ce que fut l’effet « Je suis Charlie » dans les airs internationaux, et très proche d’un équipage d’Air France pris en otage en 1990 lors de l’attaque du Koweit par Saddam Hussein.
Pour ce qui est de sa trajectoire au comité exécutif de la compagnie, à partir de sa nomination en 1996 dans l’encadrement des pilotes, et ensuite de 2009 à 2019 comme directeur général adjoint des opérations aériennes puis à divers très hauts postes jusqu’à celui de directeur général adjoint, c’est pour nous l’occasion de découvrir les modes de fonctionnement des instances les plus élevées de notre transporteur national, la gestion des conflits syndicaux, l’importance de la communication et quelquefois ses ratés, les appuis et les rivalités, les jeux de pouvoir et parfois celui des chaises musicales, les ambitions et les opportunismes de certains. On comprend son enthousiasme initial, et parfois sa déception. Parallèlement à ce témoignage, il nous présente aussi d’un œil critique la fin des vols du Concorde et l’arrêt d’exploitation de l’A380 en montrant la régression technique que cela représente. Pour le géant de chez Airbus, il développe les faiblesses qui ont conduit à son abandon : encombrement au sol, coût et, à découvrir, problèmes de chargement de bagages en soutes.
De manière générale le livre est bien écrit, on peut seulement lui reprocher l’absence de table des chapitres et d’illustrations. Concernant ce dernier point l’auteur, interrogé, est le premier à regretter de ne pas avoir pu insérer de photos, les éditions gérées par Amazon ne le permettant pas.
L’ouvrage se termine avec l’arrivée de la crise sanitaire due à la covid-19 et une présentation, forcément partisane, de ses conséquences directes ou indirectes sur le monde de l’aéronautique. Ce doit être le premier livre que je vois passer dans l’Aérobibliothèque à aborder cette crise sanitaire et sociale. Gageons, hélas, que ce ne sera pas le dernier ! On termine en conséquence les dernières pages dans une ode au transport aérien et en particulier à Air France, avec le plaisir d’avoir accompagné Eric Schramm, non seulement dans son parcours de pilote de ligne, mais aussi, dans le monde des affaires, dans son expérience de pilote de lignes… budgétaires.
Note : Analepse = figure de style sous forme de flash-back
Jean-Noël Violette
ISBN 9798696866192
315 pages, 15.3 x 22.5 cm, broché
0.520 kg
18,99 €