Voici un travail de mémoire personnel particulièrement impressionnant ! Jean Pangon, ancien navigateur et radariste, nous propose une œuvre à la fois intime et grandement enrichissante à la lecture. Ce livre à couverture souple et dos carré de 274 pages au format A4 est un ouvrage d’amateur, avec les défauts classiques qui s’y rattachent, telles que les erreurs courantes de typographie (« Km » au lieu de « km », « sec » au lieu de « s », « CV » au lieu de « ch », majuscules non accentuées, utilisation erronée de points dans les nombres et certaines abréviations, césures malheureuses, etc.) ou bien encore les longues lignes qui traversent toute la largeur de la page sur une seule colonne, rendant la lecture un peu fastidieuse. Le jargon et les abréviations typiquement « armée de l’Air » raviront sans doute les aficionados mais, malgré les deux petits lexiques proposés dans l’un des chapitres et en fin d’ouvrage, elles risquent de dérouter certains lecteurs. L’emploi répétitif de « MTO » pour « météo » en est un exemple assez typique. Cependant, les textes sont très soignés, bien écrits et leur lecture ne peut qu’attiser l’intérêt des lecteurs passionnés. La qualité d’impression des illustrations s’apparente à celle des imprimantes de bureau, mais la rareté des documents, leur originalité et l’effort porté sur la couleur leur profèrent une richesse remarquable.
L’histoire commence par les souvenirs de jeunesse de l’auteur, dans un style rapide, presque télégraphique, composé de phrases courtes juxtaposées avec pour seule liaison l’écoulement chronologique. Mais après les années d’école perturbées par les événements de la guerre vécus dans un petit village provençal, arrivent les années de formation dans le monde de l’Aviation. La passion de l’auteur pour l’évolution dans la troisième dimension semble parfois réfrénée par un contexte qui ne lui a pas permis de satisfaire toute ses espérances, mais, même s’il n’a pu devenir pilote, son orientation vers la navigation fut loin de constituer un frein à son épanouissement, bien au contraire.
Lorsque le texte aborde les années de formation comme navigateur et radariste, en France et au Canada, le style heurté des premiers chapitres se fluidifie, les phrases s’allongent, les enchaînement se renforcent, la lecture devient passionnante. Le jeune rêveur se fait professeur. Les explications s’approfondissent et les détails foisonnent. Les anecdotes se transforment en un véritable cours. À la lecture, on apprend les principes de la navigation, l’utilisation des instruments de l’époque, ou encore le fonctionnement des radars DRAC.
Après la formation, arrivent les premières applications. En particulier, la chasse de nuit nous permet d’apprendre beaucoup sur l’utilisation du Meteor NF-11 dans l’armée de l’Air. L’auteur complète souvent ses propres souvenirs en citant les récits de quelques uns de ses anciens camarades. Le métier de navigateur, les opérations de repérage et de guidage sont expliqués d’une manière précise, dans laquelle transparaît constamment l’engagement personnel empreint de passion de l’auteur. Un régal à lire ! Le Vautour fait ensuite une première apparition fugace dans le récit avant un intermède en T-6 durant la guerre d’Algérie. Ce passage ravira davantage les amateurs de combats que ceux d’aviation. En dehors d’une intéressante explication sur le quadrillage topographique employé à l’époque pour le repérage, le récit de tir sur des rebelles autochtones en colère, dans un contexte empreint de violence, de rejet et d’incompréhension mutuelle, n’a rien de réjouissant.
Heureusement, la deuxième moitié du livre nous réserve encore des trésors richement illustrés, sur une utilisation méconnue mais ô combien passionnante de l’aviation française. Le retour sur Vautour est l’occasion d’ouvrir une nouvelle page d’histoire. Passé au CEAM, l’auteur part pour Reggane au début de la décennie 60 pour participer aux missions de prélèvement de poussières dans les nuages engendrés par les premières expériences atomiques françaises. Il nous fait ainsi vivre de l’intérieur la toute première expérimentation de la « Gerboise bleue » dans le Sahara algérien. Ce chapitre justifie à lui tout seul l’achat de ce livre, mais c’est pourtant loin d’être le seul digne d’intérêt.
Par la suite, un passage au prestigieux « Normandie-Niémen » nous permet de découvrir la chasse tous temps, toujours avec autant de détail et d’aspects techniques inhabituels. Mais ce n’est pas fini car l’auteur va revenir aux prélèvement de poussières radioactives dans la Pacifique… N’entrons pas dans les détails pour laisser à chacun le loisir de découvrir tout cela.
Le mieux en effet, c’est encore de lire ce livre passionnant pour enrichir sa connaissance sur le métier de navigateur aussi bien que sur le contexte historique qui l’a fait évoluer depuis la guerre. L’auteur nous y fait habilement découvrir combien ce rôle souvent négligé, à tort, au profit des pilotes, peut être à la fois important et passionnant. Il a certes bénéficié pour l’illustrer d’une carrière exceptionnelle, mais il sait la faire partager avec tant de fougue et de précision ! Il n’y a pas à hésiter, ce livre nous en apprend tant sur des aspects méconnus de l’aviation qu’il se doit de figurer dans tout bonne bibliothèque. Et surtout, ne vous contentez pas de sa riche iconographie : ce livre mérite d’être lu de bout en bout ! Prenez ce temps, il est bien écrit et en vaut vraiment la peine.
Philippe Ricco
274 pages, 21 x 29,7 cm, couverture souple
Photos n&b et couleur, cartes, croquis