Un siècle d’histoire de l’aéronautique
à Bourges et dans le Cher


1900-2000
Collectif

L’association « Patrimoine Aéronautique Bourges Berry » n’en n’est pas à son coup d’essai ! Après un premier ouvrage consacré à la construction du C-160 Transall dans les ateliers Nord-Aviation de Bourges, elle avait publié en 2007 un bel album rassemblant plus de 700 photographies extraites des archives de la dite usine, choisies parmi les milliers qui avaient été récupérées in extremis quelques années auparavant. Ces deux ouvrages furent extrêmement bien reçus et rapidement épuisés, tout comme le fut un premier livre publié en 1990 par Roland Narboux, membre de l’association, et consacré à l’aventure industrielle de l’aérodrome de Bourges, depuis l’arrivée du constructeur Hanriot en 1928. C’est donc d’une certaine manière pour offrir une suite à cet ouvrage que le présent travail a été écrit, avec la bonne idée d’en étendre le champ d’investigation à l’ensemble du département du Cher.

Les membres de l’association étant en grande partie des anciens de l’usine Nord-Aviation – puis Aérospatiale, il n’est pas surprenant que son histoire en soit particulièrement développée, formant un commentaire détaillé de l’album photographique paru en 2007, depuis les premiers appareils Hanriot, jusqu’aux derniers éléments sous-traités avant que l’établissement ne soit exclusivement consacré aux engins tactiques.

Avant que nous continuions, les auteurs nous permettront une remarque relative à l’avant-propos de l’ouvrage où ils écrivent ne pas se considérer « comme des historiens patentés… » ; c’est là une déclaration que l’on retrouve régulièrement dans notre pays sous des formes diverses, et plus particulièrement dans les ouvrages d’histoire locale. Si nous étions devant un ensemble de notes prises ça et là et destinées à un groupe d’amis, on pourrait à la rigueur comprendre cette remarque, mais comment qualifier un livre consacré au passé, et destiné à un acheteur qui ne peut se fier qu’à son aspect générale – qui est ici de très bonne qualité (les photographies y sont en particulier bien mieux contrastées que dans le précédent) ? Nous sommes bien en présence d’un ouvrage d’histoire, donc le résultat d’un travail d’historien, dont il n’existe pas, répétons-le une fois de plus, de diplôme ! Il y a bien sûr des universitaires titulaires d’une maîtrise en histoire ou qui ont reçu le grade de docteur dans la même discipline, témoignant en cela qu’ils ont suivi un certain enseignement, mais si nous avions dû attendre qu’ils se penchent sur le sujet qui nous intéresse, les librairies d’histoire aéronautique seraient bien peu fournies ! Que ce travail soit plus ou moins bon, c’est un autre problème, mais fort de notre expérience, on peut se demander si certains n’imaginent pas avoir trouvé là un moyen pratique d’éluder toute critique…

Qu’en est-il alors de l’ouvrage qui nous intéresse ici ? En remontant au début du XXe siècle, on trouve bien sûr l’évocation du premier meeting d’aviation organisé à Bourges en 1910, mais les auteurs ont su se pencher longuement sur ce qui fait la spécificité de la région de Bourges, qu’on aurait pu imaginer replier dans une petite vie provinciale conservatrice, alors qu’on découvre une bourgeoisie locale extrêmement active à promouvoir ce nouveau moyen de locomotion révolutionnaire qu’est l’aéroplane, et dont le lobbying va se traduire avec succès par la création d’une importante école de pilotage de l’Aéronautique militaire sur le site du camp d’Avord. Cette première partie est complétée par quelques notices biographiques consacrées à des aviateurs berruyers, mais qui pour la plupart n’auront aucune incidence sur l’aéronautique locale. Les auteurs sacrifient ici à une tradition bien établie dans ce type d’ouvrage, dont nous ne voyons pas toujours l’intérêt.

L’entrée en guerre voit bien sûr le développement de l’aérodrome d’Avord (il n’y a d’ailleurs aucun terrain permanent à Bourges au même moment, ne l’oublions pas), mais avec un certain retard – ce qu’oublie de dire l’ouvrage, la certitude de mener une guerre courte ayant conduit l’État-major à prendre la décision de fermer les écoles pour envoyer le plus de pilotes possibles en première ligne. Avouons que le chapitre consacré à cette « Grande Guerre » est assez décevant, se cantonnant surtout dans de vagues considérations sans grand rapport avec l’école d’Avord, hormis quelques chiffres. Il y est bien connu qu’une grande quantité d’archives ont disparu, mais il eût été plus intéressant de replacer l’histoire de l’aérodrome dans celle plus générale de la formation des équipages, sujet bien peu développé et auquel s’est attelé Albin Denis – un habitué des Aéroforums, sur [son site Internet-http://albindenis.free.fr/].

Le temps des meetings d’après la fin de la guerre, offre au moins une grande quantité d’informations sur une époque bien moins connue qu’on pourrait l’imaginer. Malheureusement – une fois de plus, l’auteur (anonyme) de ce chapitre n’a pas su prendre le recul nécessaire vis-à-vis de la « littérature locale », dont il reproduit trop souvent le style emphatique et désuet.
L’arrivée en 1928 du constructeur Hanriot, qui installe une école de pilotage, permet de reprendre le cours d’une Histoire plus structurée. On retrouve, comme en 1910, des responsables locaux extrêmement actifs à tenter de développer l’aviation dans une ville qui leur semble alors un point de passage incontournable, au centre d’un futur réseau de lignes aériennes métropolitaines ! Si l’idée pouvait paraître sensée à la fin de la guerre, au moment où le Service de la Navigation Aérienne du colonel Saconney jette les bases d’un tel réseau, les rêves d’étape incontournable à Bourges au moment de la construction de « l’aérogare » à la fin des années trente sont empreints d’une grande naïveté… Nous laissons le lecteur découvrir les nombreux autres points abordés, que ce soit la création de nombreux aéro-clubs – en particulier dans le sillage de l’Aviation populaire, l’apparition d’une unité de réservistes sur le terrain de Bourges, etc.
Comme nous l’avons déjà écrit, l’origine professionnelle des auteurs explique la large place – justifiée – qui est donnée à l’activité industrielle sur le site des usines Hanriot, intégrées à la SNCAC lors des nationalisations de 1937, ceci grâce aux archives, mais aussi aux témoignages recueillis, à tel point que l’aérodrome d’Avord paraît parfois un peu oublié.

Après 1945, on suit le lent déclin de cette entreprise nationalisée que certains avaient jugée superflue à sa création. Après la crainte de voir le site purement fermé lors de la disparition de celle-ci, la reprise par la SNCAN, futur Nord-Aviation, va paradoxalement ouvrir les pages les plus fastes de l’histoire industrielle de l’aérodrome de Bourges, qui voient l’assemblage des Noratlas, Nord 262 et Transall, période vécue par une bonne partie des auteurs, cela ne fait aucun doute ! Une fois encore l’activité des aéro-clubs n’est pas oubliée, tout comme celle de ce qui est devenu la Base École d’Avord, mais on aurait aimé à son sujet autant de rigueur qu’à propos de Bourges.

En conclusion, les auteurs ne nous facilitent pas la tâche ! Ces 350 pages forment incontestablement une précieuse somme de travail pour l’Histoire des sites aéronautiques de notre pays, mais il est regrettable que l’excellente décision d’étendre cette étude à l’ensemble du département du Cher n’ait pas donnée lieu à une approche aussi rigoureuse et précise que celle qui concerne « l’usine de la rue Le Brix », d’autant plus qu’un travail collégial aurait plus facilement permis à d’approfondir certaines périodes qui apparaissent ici à travers des lieux communs qui détonnent avec la qualité de l’ensemble.

Pierre-François Mary


352 pages, 21 x 29,7 cm, couverture souple

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Association Patrimoine Aérospatial Bourges Berry

ISBN 978-2-9529002-1-8

38 €