En raccrochant ses pinceaux en 2010, le dessinateur Francis Bergèse s’est consacré à l’écriture d’une autobiographie, pour le plus grand bonheur de ses admirateurs. Voici donc Une vie de dessin et d’aviation.
Cet ouvrage est présenté de manière bien évidemment chronologique, depuis la petite enfance de l’auteur jusqu’aux dernières années de sa carrière.
Tout le début de sa vie pourrait nous paraître bien ordinaire, malgré les circonstances tout de même un peu particulières qui en ont déterminé le contexte, multiples déménagements familiaux et leurs conséquences sur une réussite scolaire avec des hauts et des bas, ou absence chronique d’un père partant travailler à l’étranger pendant de longues périodes. En tous cas, sinon ordinaire, une existence comparable à celles de beaucoup d’enfants au sortir de la Seconde Guerre mondiale.
Ce serait sans compter sur le double virus de l’aviation et de la bande dessinée que l’on voit petit à petit se développer en lui comme un double dessein. Un peu comme l’œuvre d’un peintre dont les petites touches quasiment imperceptibles au départ, puis de plus en plus présentes, vont peu à peu donner tout son sens au tableau final.
On accompagne donc l’auteur dans son enfance, à Marseille et dans la Drôme puis au Maroc, avec sa découverte du dessin, du cinéma et parfois le passage d’un avion. Puis on le suit à son retour en France à son adolescence avec toujours les dessins, avec le théâtre et, de plus en plus présente, l’aviation.
À l’aube de ses vingt ans avec son engagement dans l’ALAT, puis trois ans plus tard à son retour à la vie civile avec des velléités de vivre de ses crayons et de ses pinceaux, l’aéronautique sera désormais présente une majeure partie de sa vie.
L’auteur décompose lui-même sa carrière de dessinateur en grandes phases, celle des vaches maigres de 1967 à 1972, suivie d’une période un peu plus faste en 1972-76, les années Heller de 1976 à 1980, puis les années Buck Danny jusqu’en 2008. Mais on découvre que ce schéma simplifié masque en fait une multitude de petits contrats, de petits boulots pour de multiples éditeurs, revues ou même publicistes afin de générer de quoi vivre.
En parallèle, comme on avait accompagné le jeune enfant dans sa découverte des copains qui l’entourent, et comme il nous avait fait partager ses premiers émois amoureux d’adolescent, les grandes lignes de sa vie d’homme nous sont également narrées en parallèle, famille, mariage, enfants et multiples déménagements pour suivre les méandres de sa carrière professionnelle.
Sur le plan aéronautique, Francis Bergèse nous raconte aussi ce qu’a été sa vie, en résumant souvent chaque année par la narration de quelques vols, les plus significatifs et, en tant que spotter dans l’âme, en listant les appareils qu’il a eu la chance de piloter. Outre ceux de ses années ALAT comme pilote militaire, ces vols sont ceux qu’il effectue en aéro-club, comme pilote privé ou comme réserviste, mais aussi son vol à voile, son admission pendant quelques années dans la « Bande à Salis » à la Ferté-Alais et quelques vols exceptionnels auxquels il a été convié avec différentes forces aériennes dans le cadre de son métier de journaliste. Si l’on s’attarde sur son expérience avec l’équipe de Jean Salis, c’est un riche témoignage d’une époque qui en a fait rêver plus d’un, mais bien sûr vue de l’intérieur avec ses plus et, vers la fin, ses moins.
Hormis certains grands noms expressément nommés, la plupart des personnes qu’il rencontre sont citées par leur prénom et l’initiale de leur nom de famille, et c’est bien entendu un jeu pour celui qui les a connus de retrouver ces patronymes. Cela permet de retrouver en situation les qualités humaines de certains, voire pour d’autre de découvrir des aspects moins reluisants des personnages, comme l’égocentrisme de nouveaux venus qui a conduit Francis Bergèse à s’éloigner de la Ferté-Alais
Pour ce qui est de sa vie d’auteur et de dessinateur, on apprend plein de petits détails.
Pour ma part j’ai par exemple découvert à cette lecture qu’il avait été un des illustrateurs de la célèbre collection Signe de piste. Du coup, j’ai foncé vérifier dans celle que j’ai gardée dans un coin chez moi, et effectivement j’ai retrouvé sa signature sur quatre de ces livres. J’ai aussi appris avec plaisir, pour m’être déjà posé la question dans le passé, pourquoi les Buck Danny étaient parus chez plusieurs éditeurs. J’aurais peut-être aimé savoir, je me le suis souvent demandé, pourquoi son ouvrage sur le North-American Mustang chez Ouest-France était paru en deux fascicules séparés, au lieu d’un seul comme Francis Bergèse semble le regretter lui-même. J’ai aussi été étonné, dans ces récits qui semblent exhaustifs, de ne pas voir racontée l’édition du livre « Mes avions de papier » en 1991.
C’est bien peu de chose comparé aux énumérations de travaux qu’il a pu réaliser, bédés, illustrations ou monographies, qui donnerait presque parfois le tournis tant il y en a eu.
Le livre est richement illustré, comme il sied à un ouvrage sur la vie d’un dessinateur. Ces illustrations commencent avec quelques-uns de ses premiers dessins, pour évoluer et mûrir sous nos yeux vers le coup de patte du professionnel que nous lui connaissons maintenant, grâce à de nombreux extraits de ses BD. On trouve aussi des exemples de multiples autres travaux (boxarts de maquettes Heller, couvertures du Fana de l’Aviation ou de livres, boîtes d’allumettes, cartes postales, publicités, caricatures…), les dessins qu’ils faisait pour amuser ses copains militaires ou ses amis vélivoles, et de nombreuses photos présentant les appareils sur lesquels il a volé.
Tout au plus peut-on regretter que ces reproductions soient parfois un peu petites, rendant difficile l’appréciation des détails ou la lecture des textes.
Vous comprendrez donc que cette autobiographie est un document exceptionnel, à conseiller à tout amateur d’aviation, à tout amateur de bandes dessinées, et bien entendu davantage encore à ceux qui s’intéressent aux deux.
Jean-Noël Violette
320 pages, format 16 x 24 cm, broché