« Une histoire illustrée du réel et de l’imaginaire », dit le sous-titre. Non, ne fuyez pas : on ne va pas vous parler de Roswell, des « petits gris », de la faille spatio-temporelle du Peuch de Bugarach… Sous des abords fantaisistes, ce livre est des plus sérieux… ce qui ne l’empêche pas d’être singulièrement passionnant.
Reconnaissons que la démarche ne manque pas d’originalité : au lieu de nous présenter l’histoire du voyage spatial comme une simple succession linéaire et chronologique, il nous en évoque tous les foisonnements. Une sorte d’arbre généalogique avec toutes ses branches (y compris celles sans descendance) à la place de la traditionnelle frise historique bien rectiligne. Ainsi donc, Spoutnik 1, Apollo 11, l’ISS, Rosetta… ne seraient que des rameaux ayant réussi parmi une foultitude de branchages, chacun étant une ramification d’une arborescence commune : l’imagination.
À l’heure où l’on ne peut plus se rendre où que ce soit sans l’assistance d’un GPS, où les images TV nous parviennent de satellites artificiels, où le décollage d’une fusée Ariane nous paraît aussi commun que le départ d’un tortillard depuis la gare de Trifouilly-les-oies, il est bon de mettre l’accent sur ce que notre « réel » doit à notre « imaginaire ». Et le livre Vaisseaux spatiaux de Ron Miller, sorte d’OVNI de l’édition, y parvient à merveille, dans une démarche qui, à notre connaissance, n’avait jamais été adoptée précédemment. On réapprend ici que tous les engins spatiaux sont d’abord et avant tout le fruit de cogitations dans lesquelles l’imaginaire joue un rôle essentiel. Dans ces conditions, on ne s’étonne pas de voir, par exemple, la navette spatiale US figurer dans les descendants du bombardier antipodal Silbervogel avec lequel l’Allemagne nazie comptait frapper les États-Unis. Sans vouloir prétendre à une exhaustivité pour laquelle de nombreux tomes seraient nécessaires, l’auteur démontre comment l’imagination créatrice — voire artistique — joua dans la conception des vaisseaux spatiaux un rôle fondamental, au même titre que la rigoureuse approche scientifique. Sans de doux rêveurs comme Jules Verne, Constantin Tsiolkovski, Hermann Oberth et leurs semblables, l’homme n’aurait jamais posé le pied sur la Lune, il n’enverrait pas de sondes à la rencontre de comètes… ou plus simplement ne disposerait pas d’image de la Terre vue de l’espace.
La conquête de l’espace n’a pas commencé le 4 octobre 1957 avec Spoutnik I, qui d’ailleurs n’apparaît qu’au milieu du livre ; c’est dire le volume de tout ce qui a pu germer dans les cerveaux humains pour parvenir à ce premier résultat. De même, le livre ne s’arrête pas avec le voyage sur Mars ; voiles solaires, astéroïdes habités, propulsion par fusion nucléaire ou antimatière…De quoi alimenter des heures et des heures de rêveries dans lesquelles on trouvera aussi bien des lancements par canon géant que le bien réel projet Mercury.
L’approche est foisonnante, certes, mais ordonnée en grandes parties allant d’un premier chapitre intitulé « Les rêveurs » à un septième orienté vers « Le futur ». Et dans cet inventaire luxuriant, le lecteur trouvera une foule de sections en deux à quatre pages, abordant des sujets précis, où le modélisme de fusées, les bandes dessinées des années cinquante, le vaisseau à propulsion électrique, côtoient le X-15, Vostok ou les « lifting bodies »*.
Cet ouvrage digne de figurer dans les « beaux livres » brille par son iconographie abondante et étonnamment variée. Outre les photographies de personnages ou d’engins, les dessins techniques, les écorchés et les nombreuses vues d’artistes, le lecteur trouvera des couvertures de magazines, affiches de films, coupures de journaux, infographies… Un ouvrage enthousiasmant, qui réconcilie science et imaginaire, et où le lecteur curieux trouvera une approche singulièrement enrichissante des vaisseaux spatiaux.
Eût-il été strictement aéronautique que cet ouvrage aurait décroché à coup sûr un « coup de cœur » de l’Aérobibliothèque, d’autant plus que l’éditeur n’a pas lésiné sur la qualité. Voici un livre que l’on peut lire dans l’ordre de la pagination, mais dans lequel on peut tout aussi bien picorer. Le détail qui ajoute au sérieux de l’ouvrage : pas moins de cinq pages d’un index écrit en petits caractères. En tout cas, simple esprit curieux ou érudit, le lecteur en tirera nécessairement une foule d’informations. Avec en prime le régal des yeux.
Philippe Ballarini
256 pages, 24,8 x 27,9 cm, cartonné + coffret
* « Lifting bodies » : littéralement « corps portants ». Engins expérimentaux qui préfiguraient la navette spatiale US.