Un certain étonnement à l’ouverture de cet ouvrage qui entre en toute légitimité dans la catégorie des « beaux livres » : nous sommes effectivement en présence d’un livre qui est plutôt de la famille des albums photographiques plutôt que de la docte publication coutumière à l’historien qu’est Claude Carlier. On se souvient en particulier de ses savants et remarquables ouvrages parus chez Economica.
Le texte est ici réduit à la portion congrue et c’est l’image qui s’offre la part du lion. Mais quelles images ! Un vieux briscard reconnaît aisément la patte de Jean-Yves Lorant, discret personnage qui officie depuis des années à la photothèque du SHD-Air (ex SHAA)*. Le choix des images est tout bonnement remarquable, fruit d’une sélection assistée par un grand maître de la documentation iconographique dont on ne s’étonne pas de le voir cité de façon laudative dans les remerciements aux côtés de (entre autres) Madame Chablat-Beylot, chef du SHD-Air.
Choix plus que judicieux d’une iconographie où l’on retrouve à la fois portraits, vie quotidienne, variété pertinente d’appareils, situations variées, photos en vol comme au sol… La sélection fut sans doute difficile, mais grandement facilitée par la compétence des personnes qui maîtrisent leur fonds photographique sur le bout des ongles. Tout y passe : spectacles aux armées de la Drôle de guerre, entraînements à la DCA, vols rasants de Breguet 693, femmes dans les ateliers de construction aéronautique, chaînes de montage, démarrage au groupe électrogène, réchauffage des moteurs en hiver, camouflage, armement, superbes photos d’appareils en vol… ou sur le gésier, premiers appareils allemands détruits… Un soin particulier a visiblement été apporté à éviter les « répétitions » d’appareils, ce qui nous amène à une variété salutaire.
La plupart des images sont reproduites en pleine page, ce qui ne gâche rien, avec une qualité d’impression remarquable sur un papier de bonne qualité et de fort grammage, de même que l’originalité et la variété sont au rendez-vous. Les légendes, sans être excessivement longues, ne se résument pas à des banalités et les courts textes de Claude Carlier permettent au néophyte ou à l’amateur futur « chibani » d’appréhender et de mieux savourer chacune de ces images soigneusement choisies.
Vie et destin des pilotes de guerre. Bien curieux titre pour un album dédié à la période allant de septembre 1939 à l’armistice de juin 1940, ce qu’on découvre uniquement au fil du livre ou en lisant la quatrième de couverture.
Mais il y a plus curieux encore : alors que ce livre superbe jouit d’une unité certaine, on voit arriver en guise de conclusion une douzaine de (fort belles) pages de Delphine Lacroix sur Antoine de Saint-Exupéry… à la manière de l’un des rares cheveux du pilote-écrivain dans une assiette de soupe. Cela achève de donner à cet ouvrage un aspect bizarre. Saint-Exupéry, encore lui ? Et pourquoi pas plutôt Plubeau, Accart, Marin la Meslée, Peřina, voire Le Gloan, certainement beaucoup plus emblématiques de la campagne de 1940 ? Cela dit, ne soyons pas sévères à l’excès : Delphine Lacroix cède largement la plume à Saint-Ex, bien connu du grand public, après avoir choisi dans Pilote de guerre quantité de passages parmi les plus évocateurs de la campagne de France telle qu’a pu la connaître « Tonio ».
Que cette coda aigre-douce n’altère pas l’enthousiasme que suscite ce remarquable album : le soin qui a été apporté à la sélection des photographies (en noir et blanc) ainsi qu’à la mise en page et à l’impression dissout les remarques quelque peu critiques. Émouvant autant que documentaire, ce superbe album aurait vraisemblablement hérité d’un coup de cœur de l’Aérobibliothèque s’il n’avait été fané par de menues bizarreries.
Philippe Ballarini
144 pages, 14 x 20 cm, broché
Coédition Gallimard/Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives
* Le SHAA (Service Historique de l’Armée de l’Air) est devenu SHD Air (Service Historique de la Défense Air) en 2005. Il est installé au château de Vincennes.