Vol de nuit. S’agit-il bien d’un roman ? Au centre, en 1931 à Buenos Aires, Rivière — dans lequel on reconnaît aisément Didier Daurat. Pour gagner du temps sur les moyens de transport terrestres, il faut voler de nuit. L’avion amenant le courrier vers l’Europe attend l’arrivée des appareils venant de Patagonie, du Chili et du Paraguay. Le pilote Fabien, qui remonte de Patagonie avec son radio, rencontre d’épouvantables conditions météorologiques. Mais au centre de l’ouvrage, Rivière. Uniquement ce Rivière-Daurat présenté comme un être à la fois tourmenté et d’un autoritarisme inébranlable, mais d’une inflexibilité que l’auteur paraît comprendre, admettre, voire approuver.
Comme c’est souvent le cas, il existe bien des approches envisageables de ce livre qu’on peine à qualifier de roman tant il semble être un assemblage de situations réelles que Saint-Exupéry a connues. Que n’a-t-on écrit sur Vol de nuit ! Certains chroniqueurs se sont même amusés à y compter le nombre « d’occurrences » du mot « étoile ». Peut-être auraient-ils pu inventorier le nombre de fois que sont utilisés le mot « ennui » et ses synonymes.
Épopée ? Le ton n’y est pas. Portrait fidèle de Didier Daurat ? Certes pas. Document sur l’Aéropostale ? Encore moins. Essai à coloration philosophique ? Pourquoi pas, mais… Ce texte peut aussi être envisagé comme l’expression de la mélancolie saint-exupérienne, tant par son fond que par sa forme.
Il a parfois été écrit que Vol de nuit était une forme d’ode à la nuit. Il est vrai qu’au-delà des êtres humains, le personnage principal est la nuit elle-même, avec son cortège de plaisirs autant que de dangers et d’incertitudes. Sous cet aspect du livre, les illustrations de Bernard Puchulu sont en parfaite harmonie avec le texte. Peindre la nuit et la pénombre n’est pas un exercice facile, qu’il s’agisse du bureau de Rivière, des rues de Buenos Aires, des montagnes andines ou de l’océan en furie. Bernard Puchulu a franchement excellé dans son rôle et nous fait pénétrer le texte de Saint-Exupéry bien mieux que les foultitudes de savantes explications qu’on a pu trouver de-ci de-là. On se sent tenté, comme Fabien cherchant à lire les cadrans faiblement éclairés de son tableau de bord, de se pencher vers le livre pour tenter de déchiffrer sur son visage les pensées de Rivière-Daurat. Rarement un texte n’aura trouvé un illustrateur aussi avisé. Seul menue réserve, Bernard Puchulu nous gratifie de ce qui semble bien être un Breguet XIV, ce qui s’avère hasardeux : un Laté 25 ou 26 aurait peut-être mieux fait l’affaire… mais il s’agit vraiment d’un détail sans importance au regard de ce qu’apporte au texte le talentueux illustrateur.
Est-il permis d’écrire que l’on trouve Vol de nuit ennuyeux sans courir le risque de passer pour un butor inculte ? En tout cas, les amateurs de la littérature d’Antoine de Saint-Exupéry feraient bien de se porter acquéreurs de cette édition, ne serait-ce que pour l’adéquation des illustrations au texte.
Philippe Ballarini
96 pages, 19,5 x 26,5 cm, relié