Vous ne connaissez pas le registre « steampunk » qui caractérise cet album ? Et pourtant, vous avez vraisemblablement vu des illustrations ou un film d’animation qui sont au même diapason. Vous avez vu les films Steamboy, Le château ambulant, La boussole d’or, Hugo Cabret ? Vous avez joué à Sybéria ? Vous avez vu des illustrations d’Albert Robida ? Et bien voilà : comme Monsieur Jourdain ignorait qu’il faisait de la prose, sans le savoir vous aimez le « steampunk », ce style littéraire et graphique dont le décor rappelle le style de l’environnement industriel du XIXe siècle.
Nos lecteurs bédéphiles assidus savent désormais ce qu’est une uchronie* et finissent par connaître les marottes du scénariste Richard Nolane, un maître du genre. Mais celui-ci ne se limite pas à la pure spéculation ou à la distorsion de l’Histoire ; la collection Wunderwaffen nous laisse percevoir son goût marqué pour la science-fiction et le paranormal. Voilà qui pourra dérouter les amateurs d’une uchronie pure et dure, mais qui ravira celles et ceux qui acceptent de laisser leur esprit vagabonder sur les pistes de l’imagination bouillonnante de l’auteur.
Pour planter le décor, nous dirons qu’en 1916, Adolf Hitler n’est pas simple Gefreiter*, mais Hauptmann* à bord d’un Zeppelin porte-avions, en compagnie de son ami (et futur complice), Hermann Goering, lui-même officier de même grade, et qu’on découvre aux commandes d’un triplan… de couleur rouge (le Baron Rouge, serait-ce donc lui ?) Mais ce n’est pas sur ce décor-ci que s’ouvre l’histoire : elle commence en novembre 1916 en Russie, au palais d’hiver de Saint-Pétersbourg, avec comme acteurs la tsarine Alexandra, le tsarévitch et le soi-disant starets* Raspoutine. On comprend qu’au moins deux histoires vont se dérouler en parallèle, avec d’inévitables croisées des chemins, y compris avec d’autres personnages réels, comme l’As français Georges Guynemer.
Les machines et appareils divers ont inspiré d’étonnantes interprétations, dont la moindre n’est pas ces étonnants Zeppelin sustentés par un « super-hélium ». Interprétations, le mot est juste, car si a priori les diverses machines présentes, dirigeables, avions, navires, automobiles… sont fictives, elles sont très largement inspirées d’engins réels ou postérieurs. Par exemple, les dirigeables porte-avions ont fait une apparition effective aux USA… mais ce fut au début des années trente. Nous assistons (entre autres) à un carambolage entre les dirigeables et les « plus lourds que l’air », la supériorité du second étant, dans l’album, fort loin d’être établie, l’énorme capacité d’emport des « plus légers que l’air » et leur inflammabilité réduite étant un atout de taille.
Ce ne sont donc pas seulement les personnages « acteurs » du scénario qui ont été « retouchés », mais également la technologie. Le « Vieux Charles » de Guynemer présente bien quelques similitudes avec le SPAD VII, mais il affiche une étonnante disposition des ailes, preuve supplémentaire que l’album prend d’importantes distances avec la réalité historique et qu’il ne se limite pas à la simple uchronie. D’ailleurs, avec Richard Nolane aux commandes, c’eût été surprenant : dans les cinquième et sixième planches, on voit poindre des allusions à la doctrine de la glace éternelle d’Hörbiger, puis aux Atlantes, alors que dès la première planche, Raspoutine avait demandé à partir au Spitzberg à la recherche d’un objet dont il fait grand mystère.
Loin de l’effet « chute de dominos » qui est l’ordinaire de l’uchronie, nous sommes donc en pleine extravagance, mais dans une fantasmagorie qui n’est pas tout à fait sans fondement. Si le cadre historique de départ est passablement modifié par rapport à la réalité, le scénario n’est pas sans rappeler l’univers de Richard Nolane et son engouement pour les écrits tels que Le matin des magiciens, de Pauwels et Bergier, de même que l’on trouvera très vite des allusions à la future Ahnenerbe*.
En ce qui concerne la partie graphique, Vincenç Villagrasa propose un dessin adapté au climat « steampunk » qui règne dans l’album, avec un encrage appuyé. Dans ce premier tome, l’action est omniprésente ; elle est bien soutenue par une mise en scène convaincante, des compositions efficaces, dynamiques et colorées animées par un découpage d’un registre cinématographique.
Comme les autres albums de la collection Wunderwaffen , celui-ci se termine par un « vrai-faux » article de journal, une interview du professeur Alistair Merryweather (l’inventeur du « super-hélium ») illustrée d’esquisses.
L’intrigue ébouriffée s’avère tonique et bien rythmée, alternant les différents lieux, et le tandem Nolane-Villagrasa, dont c’est la première collaboration, signe un album réussi qui plaira à celles et ceux qui aiment la combinaison uchronie – fantastique, pour cette intrigue qui nous met l’eau à la bouche quant à la suite de l’histoire que l’on imagine encore plus échevelée. En tout cas, l’uchronie* mâtinée de fantastique, c’est comme les cagouilles à la caudéranaise* : on en raffole ou on est rebuté, mais on ne reste pas indifférent.
Philippe Ballarini
48 pages, 23,4 x 32,3 cm, relié couverture rigide
0,625 kg
* Uchronie ou histoire alternative : histoire refaite logiquement telle qu’elle aurait pu se dérouler à partir d’un événement qui diffère de la réalité historique.
* Gefreiter : caporal
* Hauptmann : capitaine
* Ahnenerbe : institut de recherches pluridisciplinaire nazi intégré à la SS, cherchant à prouver la validité des théories nazies sur la supériorité de la race indo-européenne nordique (« race aryenne »)
* cagouilles à la caudéranaise : recette bordelaise où les escargots sont cuits avec jambon cru, échalotes, poitrine de porc, vin blanc…
Les albums de la collection Zeppelin’s war
Avec l’aimable autorisation des
© Éditions Soleil
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