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L’imaginaire de l’aviation pionnière

Contribution à l’histoire des représentations de la conquête aérienne
1903-1927
Collectif

En 2008, à l’occasion de la commémoration du centenaire des premiers vols européens de Wilbur Wright, un colloque avait été organisé au Mans, qui espérait aider à renouveler la réflexion historique sur les premières années de l’aéronautique « pratique » – à peu près le premier quart du vingtième siècle. Si une part des interventions étaient liées aux événements survenus un siècle plus tôt aux Hunaudières et à Auvours, l’organisation de ces rencontres était le signe d’un intérêt plus générale au sein des milieux académiques à l’égard de l’histoire de l’aéronautique : deux semaines plus tôt, un autre colloque avait eu lieu à Paris et au Musée de l’Air du Bourget dont le thème était : « La culture Aérienne – Objets, imaginaire, pratiques de l’aéronautique XIXe-XXe siècle ».

On peut remonter assez loin dans le passé et trouver un intérêt des historiens pour une telle approche sociale de l’aéronautique, surtout dans pays anglo-saxons, mais la publication en 1993 par Christoph Asendorf d’un ouvrage traduit en 2013 en français sous le titre « Super Constellation – L’influence de l’aéronautique sur les arts et la culture » semble marquer une étape importante dans cette réflexion, en s’attachant plus précisément à l’aspect artistique du sujet, direction qui a certainement trouvé plus d’écho dans notre pays, comme le prouve l’exposition « La conquête de l’air » aux Abattoirs de Toulouse en 2002 et plus récemment « Vue d’en haut » au nouveau Centre Pompidou-Metz en 2013.

Le colloque parisien évoqué plus haut n’a jamais donné lieu à la publication de ses actes, mais deux de ses organisatrices, Nathalie Roseau et Marie Thébaud-Sorger avaient dirigé la publication de certaines des interventions sous le titre L’emprise du vol. De l’invention à la massification. Histoire d’une culture moderne.
Au Mans, les organisateurs n’avaient pas non plus souhaité publier immédiatement un compte-rendu, préférant attente que passent quelques années pour faire le bilan des progrès réalisés sur le thème de ces rencontres, ce qui explique la publication en 2016 seulement du présent ouvrage.
Il est toujours ardu et délicat de faire la recension d’un tel recueil de textes courts ; évoquer chacun d’entre eux nous conduirait à dépasser largement les limites que nous nous fixons.

La première partie de l’ouvrage est consacrée plus spécifiquement aux vols de Wilbur Wright au Mans à l’automne 1908 ; signalons l’étude très intéressante de Stéphane Tison sur l’évolution de la qualité des visiteurs lors de ces vols, signe d’un changement rapide d’intérêt pour le phénomène nouveau que représente l’aviation.
La suite de l’ouvrage, à travers quatre autres grandes parties, s’intéresse bien à l’histoire des représentations de l’aéronautique, pas à l’aéronautique elle-même, ce qui est différent, même si l’on imagine que les points de contact sont nombreux. Dans ces représentations, on ne sera pas surpris de trouver une place aussi importante donnée à celle de l’aviateur plutôt qu’à celle de l’avion ou du ballon, mais l’historien bordelais Luc Robène livre une très bonne étude de la manière dont fut traitée l’aviation au sens large dans une revue célèbre de la Belle Époque, « La Vie au Grand Air », étude que l’on lira en gardant à l’esprit qu’une telle revue spécialisée restera sans faiblir acquise à l’aviation, tandis que la lecture de la presse régionale de l’époque montre une baisse rapide de son intérêt pour l’actualité aéronautique nationale.

On consultera surtout la longue introduction à l’ouvrage, coécrite par Françoise Lucbert et Stéphane Tison qui en ont dirigé la publication, et qui y résument mieux que nous ne le ferions la substance des différentes interventions. On notera en particulier une évocation inhabituelle dans le milieu académique des publications venant du monde des passionnés, même si «  le rôle essentiel que joue […] la revue Icare dans la recherche historique  » est très discutable, quoi que la publication de la grande série consacrée à la Bataille de France ait été indiscutablement à l’origine d’un renouveau de l’image de l’armée de l’Air au cours de cette phase tragique ; il eût été plus important d’évoquer le rôle de la revue Aviation Magazine, qui fut sans aucun doute à la source du courant illustré quelques années plus tard par le Fana de l’Aviation ou la Branche Française d’Air Britain.
Par ailleurs, on peut discuter le point de vue des deux auteurs qui semblent affirmer que l’histoire de cette époque pionnière est maintenant bien établie et que l’on peut partir dans de nouvelles directions telles que celles explorées par les auteurs de l’ouvrage : l’un n’empêche pas l’autre, le cas des frères Wright nous montre combien les jugements sur cette époque sont encore trop souvent dans notre pays d’un « national-nombrilisme » assez affligeant…
L’historien de l’aéronautique a encore du travail devant lui ! C’est d’ailleurs le propre de l’histoire d’être en perpétuel renouvellement: bon nombre des thèses brillamment défendues par le médiéviste Georges Duby dans les années quatre-vingt sont maintenant largement remise en question par ses jeunes successeurs.

Il reste que la lecture de cet ouvrage est vivement recommandée à tous ceux qui se passionnent pour l’aéronautique du premier quart du XXe siècle, en leur donnant à considérer un point de vue probablement inhabituel propre à soulever de nouvelles questions, ce qui est bien le propre de l’histoire, n’est-ce pas ?

Pierre-François Mary


354 pages, 16,5 x 24 cm, broché

– Sous la direction de Françoise Lucbert et Stéphane Tison.
– Avec le soutien du Centre de recherches historiques de l’Ouest et de l’université du Maine.

En bref

Presses Universitaires de Rennes

ISBN 978-2-7535-4371-3

23 €