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Reines du ciel

Aviatrices célèbres des origines à 1945
Joël Neveu

Une bande dessinée à caractère historique est plus facile à évaluer qu’une bande dessinée fruit d’une création intégrale de l’esprit, une œuvre où chacun est en droit d’apprécier avec sa seule sensibilité, sa seule perception subjective les talents et inspirations d’un artiste. Toutefois, les Aviatrices célèbres des origines à 1945 de Joël Neveu ne sont pas forcément présentées ou représentées de façon royale.

Ainsi, notre approche de Reines du Ciel s’est tout d’abord fondée sur des éléments objectifs tels que le parcours de différentes aviatrices, les avions qu’elles ont pilotés, les lieux, etc. Évoquant plusieurs françaises, l’auteur n’est pas tombé dans le piège d’une Marie Marvingt qui aurait reçu la Croix de Guerre 14-18 pour avoir bombardé Metz-Frescaty ; c’est déjà beaucoup et plusieurs autres de nos compatriotes sont également évoquées. Exception faite de l’idéologie nauséabonde qu’elle défendait, on aurait toutefois aimé y retrouver fut-ce brièvement Anna Reitsch par exemple, alors que les aviatrices russes de la Seconde Guerre mondiale sont gratifiées de six pages à elles seules (est-ce parce que ce sont les seules à avoir pressé la détente de leurs armes, « comme les hommes » ?). Nous n’avons pas détecté d’invraisemblance particulière mais il est vrai que ce sujet des aviatrices est désormais particulièrement bien couvert par des livres aussi magnifiques et complémentaires que Elles ont conquis le ciel » de Bernard Marck (Arthaud, 2009) ou Les filles d’Icare de Alain Pelletier (E.T.A.I. 2011). Ainsi, le fond historique de l’œuvre n’appelle finalement pas de critiques désagréables. S’agissant de la forme à présent, nous avons sincèrement beaucoup apprécié le quatrième de couverture (Joël Neveu y étant présenté comme ayant « de multiples talents graphiques, en particulier l’aérographe et la technique du trompe-l’œil ») montrant un magnifique pastel chatoyant du Caudron G3 de Adrienne Bolland sur fond de Cordillère des Andes. Mais c’est absolument tout, hélas ! L’auteur a beau déclarer au journal « Ouest-France » (24/12/2011) « Je tiens à dessiner, les avions en particulier, dans leurs moindres détails et je tenais à ce que les visages soient au plus près de la réalité », Hélène Boucher n’en est pas moins accablée d’un profil particulièrement épais et disgracieux que l’on n’envisage même pas de comparer aux photographies de l’époque ! Aussi, dans le dessin montrant trois photographies de Amelia Earhart, on peinerait à reconnaître celle qui était présentée alors comme la sœur jumelle du fameux Lindbergh ! Le minimum d’homothétie souhaitable en prend souvent un coup, plus d’un visage est « cabossé » Alors certes, Joël Neveu précise encore dans ce même journal : « Un travail à l’ancienne, je fais tout, tout seul et à la main, sans jamais utiliser l’ordinateur. Ce qui je dois dire a un peu compliqué le travail avec l’éditeur… » mais tout de même, ordinateur ou pas, on cherche encore dans Reines du Ciel au graphisme par trop simpliste, voire enfantin, ces « moindres détails des appareils » alors que pléthore d’auteurs de bandes dessinées sur le marché nous offrent des planches qui laissent pantois… Admettons que nous soyons très sévère sur le graphisme. Mais que dire alors du texte qui l’accompagne, parsemé de réflexions typiquement machistes destinées à bien appuyer sur le fait que les femmes étaient sinon difficilement acceptées, du moins sujettes à plaisanteries de potaches de la gent masculine : ainsi pour Adrienne Bolland, une bulle évoquant ses « baptêmes de l’air, démonstrations aériennes [qui] se suivent jusqu’en 1939 » et où l’on voit un personnage masculin indéterminé s’écrier « près d’l’aviateur, y’a rien de meilleur » tandis que l’une des deux femmes encadrant ce personnage rajoute « Un « rabatteur » pour ferrer les clients ». Grossièretés fortement connotées en l’occurrence, qui n’apportent strictement rien et dont on se passerait volontiers, a fortiori lorsque l’on considère qu’une bande dessinée intéresse essentiellement un jeune lectorat. Et pour finir, dans le genre « la guerre des sexes », à l’ultime page de la bande dessinée, une future aviatrice américaine d’après-guerre lance à un soldat « Prenez mes bagages, mon brave ! » sous le regard amusé de deux autres femmes… Bref, n’en jetez plus !

Que les femmes aient dû comme souvent batailler plus durement pour se faire une place dans un monde depuis longtemps dominé par les hommes, seul les misogynes en doutent. Mais à force d’insister aussi lourdement et grossièrement sur cet aspect des choses, ajouté à une réalisation générale par trop élémentaire, l’auteur est passé à côté du légitime hommage auquel peuvent fièrement prétendre ces femmes dont Bernard Marck écrit avec justesse : « Hargneuses, rudes avec elles-mêmes, intelligentes et enthousiastes, elles prouvent qu’elles… n’ont rien à prouver et se montrent égales, voire supérieures aux hommes dans une compétition qu’elles ne recherchent pas, mais qu’ils leur imposent ». Et au-delà de cette compétition propre aux hommes, dont certains étaient sans doute misogynes, qui sait si au fond la majorité d’entre eux n’était pas tout simplement admiratifs ou amoureux de ces magnifiques aviatrices (mais cela semble si évident qu’il est peut-être plus facile de se concentrer sur cette sempiternelle « guerre des sexes »). J’aurais aimé être de ceux-là… et je le reste !

Georges-Didier Rohrbacher


46 pages, 21 x 29,7 cm, relié

Reines du ciel
Reines du ciel

© Editeal 2011

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Editeal

ISBN 978-2-36450-002-0

9,50 €