Coup de cœur 2011 |
En 2006 était parue la première édition de ce livre de Yannick Delefosse. Le rédac’ chef de l’Aérobibliothèque avait alors conclu : « L’ouvrage de Yannick Delefosse, en tous points remarquable, étonne par le nombre et la qualité de détails qu’il recèle. Nul doute qu’il sera pour longtemps une référence francophone sur ce sujet. »
La version 2011 est effectivement bien plus qu’une simple réédition. De 240 pages, nous sommes passés maintenant à 384, comprenant une pléthore de nouveaux documents, de photographies, de plans, etc. Si par endroits le texte initial n’a pas été retouché, il a souvent fait l’objet de compléments et d’ajouts.
Et c’est là tout l’intérêt de cette nouvelle édition. Yannick Delefosse ne s’est pas endormi sur ses lauriers. Comme tout spécialiste qui a atteint les sommets de son art, il sait, avec humilité, qu’il faut garder l’esprit ouvert, que de nouvelles pistes peuvent s’ouvrir, des nouveaux renseignements émerger, soit des archives, soit du sol.
Ce livre a été écrit par un technicien, c’est l’impression qui ressort très vite de la lecture. Un technicien « multicartes », faut-il le préciser. Lui qui a appris le dessin industriel à la dure école du Rotring, avait rapidement maîtrisé le dessin assisté par ordinateur. Et sa livraison 2011 contient maintenant des vues en perspective et de l’infographie en couleur que n’avait pas l’ancienne édition (exemple type : celui de la page 211). Et il va sans dire que cela aide grandement à la compréhension du sujet éminemment technique que constituent le V1 et les rampes qui le lançaient.
Outre ces nouveaux dessins où la couleur apporte un atout indéniable, Yannick Delefosse a continué, quatre ans après le premier livre, à collecter des informations dans les archives, sur le terrain et auprès d’autres spécialistes et passionnés du sujet. Comme chacun sait, c’est souvent après une publication que de nouveaux éléments apparaissent.
Il n’y a pas eu que de nouvelles archives et de nouveaux documents qui ont fait progresser la connaissance, et dont l’auteur fait bénéficier son lectorat. Il y a aussi les études sur le terrain, les relevés précis, et le cas très particulier de la rampe de V1 du village de Fiefs. En effet, en 2010, Yannick Delefosse et Hugues Chevalier ont procédé, en plein accord avec la municipalité, à un décapage du sol qui a permis de mettre à jour la dalle d’ancrage de la catapulte. Le nettoyage du bac à eau a révélé quelques bouts de ferraille pour les uns, véritables trésors pour les autres, le tout jeté là depuis 1944, et puis, de fil en aiguille, est venue l’idée de reconstruire à l’identique le bunker de tir dont il ne subsistait que les fondations. Cet exercice, similaire dans l’idée aux chantiers de reconstruction ou à « l’archéologie expérimentale » a également permis à l’auteur de comprendre encore mieux les techniques de construction de l’époque, et donc de les expliquer dans son livre, pour le bénéfice de tous.
V1 arme du désespoir n’est donc pas un livre facile. On est loin de la biographie léchée, ou de la relation bien littéraire d’une bataille. Quand les parties purement techniques sont abordées, le lecteur doit s’accrocher, car l’auteur ne le ménage pas. Le livre est dense, les informations sont concentrées, il n’y a ni fioritures ni phrases inutiles.
Yannick Delefosse a découpé son livre en 12 chapitres et 8 annexes. L’origine et le développement du V1 et de son propulseur sont très détaillés. Le morceau de bravoure est constitué par l’étude du V1 lui-même, le FZG 76. L’intérieur certes, mais aussi l’extérieur, c’est-à-dire le camouflage et les marques ! La partie « infrastructures » est elle aussi particulièrement développée. Puis vient enfin la campagne proprement dite.
L’auteur ne montre aucune complaisance, ni pour un camp ni pour l’autre. L’inefficacité avérée des raids de bombardements alliés, déjà développée par d’autres auteurs, trouve ici un écho. Il fait également montre d’un excellent esprit d’analyse en comparant les bombardements alliés et l’utilisation des armes V par l’Allemagne.
Par rapport à l’édition de 2006, le chercheur a surtout augmenté la partie « stockage », expliquant bien toute la logistique du V1 depuis son lieu de production jusqu’au lieu de tir. L’autre principal ajout se trouve dans l’annexe 5, avec les pertes du 155. Flak Regiment. Même si la liste est incomplète, c’est la première fois qu’elle est publiée, au moins en français. La liste des bases et sites liés au V1 a également été complétée.
Personnellement, j’ai beaucoup apprécié le style de Yannick Delefosse. Un langage clair, des termes très précis (toujours la patte du technicien), un style qui me fait penser à du Balzac, ou à la description qu’on fait souvent du style du grand écrivain du XIXe siècle. On me rétorquera que mes années d’école sont loin derrière moi, mais c’est absolument l’impression que cette lecture m’a faite.
L’utilisation de notes de bas de pages lui permet d’être précis, souvent dans ses sources, sans alourdir inutilement son texte. Vu l’origine germanique du matériel, des termes allemands sont très souvent employés dans le texte (vous n’échapperez pas au générateur de vapeur par exemple, j’ai nommé le Dampferzeuger !) Même si comme moi vous êtes plus orienté vers l’anglais, ces mots allemands avec leur traduction française permettent de rester dans le thème. Était-ce voulu ? En tout cas, je trouve personnellement que cela marche.
Lecteurs, n’oubliez ni la préface ni la postface… surtout la postface où l’auteur dépeint certaines pratiques hélas courantes dont il a souvent été victime, mais avec une réelle élégance.
En conclusion, ce livre est donc une exceptionnelle réussite, et quelque part, il envoie son prédécesseur aux oubliettes et devient à son tour, de plein droit, la nouvelle référence francophone sur le sujet. Il mérite de toute évidence le coup de cœur de l’Aérobibliothèque.
Jocelyn Leclercq
384 pages, format 210 x 297 mm, couverture cartonnée
– Collection Histoire de l’Aviation N°29
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